mardi 24 août 2010

L'Abbé abditus

Ce matin je suis arraché du coma artificiel, Whisky/Rivotril/Imovane, par la grâce duquel je cesse de percevoir, pour quelques heures, cette maudite cigale qui me strie les gyris de l'hémisphère cérébral droit jusqu’au bulbe rachidien, en passant par sillons du cortex, et dans le thalamus, gâchant pensées et sensations, m’ôtant toute raison et tout repos; sorti donc, violemment, du néant bienfaisant par d’autres sonneries, plus grelottantes, têtues et entêtantes du téléphone.

Je me lève en titubant et en décrochant je fais tomber l’appareil : sur le tapis, par le combiné comme d’un cabinet s’expulse une sorte de voix, inhumaine, une voix de robot, résonnante, comme sortie de tuyauteries étranges et compliquées dans une canalisation aussi dégoûtante à l’ouïe que l’égout l’est au nez.
Aussitôt, j’entrai dans une immense rage, contre ces saloperies d’insupportables, cette technologie de pacotille, aliénée et aliénante, étudiée spécialement pour complaire aux plus débiles, les femelles et les babouins.
Cette voix d’égout, passait sans transition du fausset le plus inadmissible, à une basse profonde semblable au bruit qui sortirait d’un tonneau vide quand on le roule à grand coup de latte.
Ces réverbérations sépulcrales de cloches fêlées et de Bourdon ébréché tentaient de me dire quelque chose.

D’abord, je pris ce bourdonnement pour un symptôme supplémentaire dans mon oreille lésée, dû à une aggravation subite de mon acouphène de malheur, décidé à varier les plaisirs.
« Ah c’est comme ça! » me dis je in petto « et bien, soit! Point trop n’en faut, rira bien qui cessera de rire le premier » et je décidais de me confectionner un de ces coquetailles défoliants et définitifs qui vous épargnent ces réveils vaseux avec la gueule de bois, mais offrent un bon repos (un peu long peut-être vers la fin), sous une planche de bois.
J'allais d'un pas chancelant ajouter à un ½ litre de Glenfiddish, 15 ans d’âge, le reste du flacon de Rivotril, 25 lysanxia, 12 Imovane et 7 rohypnol soigneusement pilés, que vous relevez, pour le goût, d'un flacon entier de Théralène, qu'il faut boire assis sur le rebord de la fenêtre du cinquième étage, et vous ne viendrez pas m’en dire des nouvelles, lorsqu’il me sembla discerner les mots,  «Tués », « MORT » audibles, sortis du misérable combiné gisant sur le plancher.
« Il y a de l’écho, maintenant, avec mes pensées les plus intimes, décidément ces fameux acouphènes, entendus des damnés de la terre et qui donnent au céleste corps médical cet air si entendu, les yeux ronds, la mâchoire tombante, cet air inimitable de tout ceux qui ne savent strictement rien sur rien, ces "acs" méritent peut-être un sursis, pour l'étude, car assurément une monographie pertinente et approfondie, reste à écrire sur ce phénomène énigmatique pour la Science et mystérieux pour la conscience » pensé-je.

J’en étais là de mes cogitations anthumes, et décidais de me prolonger encore un peu, lorsque les grésillements de Téléphone Téléphonovitch Téléfonov se firent de plus en plus slaves. "Terrrrible...Morrrt..."
En cas, comme un con d'abonné, je rabobinais ma bobine près du combiné : ce coup de fil, aussi tranchant qu’une lame, était pour m’apprendre une atroce nouvelle.
L'Abbé Tymon de Quimonte serait mort.
Sachant que désormais le Silence, divin, et particulièrement celui qui règne, étale, depuis des siècles, entre les colonnes et les voûtes obombrées de sa thébaïde, m’était un supplice, ce bon abbé, avait décidé de me rendre visite.
Lui qui ne quittait jamais sa retraite, il fut bien inspiré.
D’autant qu’il fit appel à Philistine Stringulat, qui, mystérieusement, possède le permis de rouler à tombeau ouvert avec divers véhicules.  Philistine au volant, la mort au tournant.
Décédée elle aussi, sur le cou, puisque elle eût la gorge tranchée par le pare-brise brisé.

Heureusement plus tard j'appris qu'il s'agissait d'une fausse nouvelle. Juste quelques égratignures. Ouf.
Il ne sera pas dit que mon seul ami et mon vrai Père, et la Dinde Majuscule, retourneront à jamais dans le Néant d'où je les avais tiré, sans ma permission.
Mais l’Abbé, qui m’enseignait inlassablement la ségrégation de moi-même d'avec le monde extérieur et son fatras politique, à m’abstraire dans une vie supérieure, à élever autour de moi une citadelle hermétique afin de retenir ce qui émane de moi vers les choses sensibles, c'est dans l'ordre, un signe, qu'il fut empêché de me visiter là où je suis précipité, désormais, dans la putréfaction sonore, l'hylation sive mors.
Mon cher abbé, il me faut, hélas, a contrario de votre enseignement, me précipiter dans la Ténèbre extérieure, dans l’espoir d’échapper à la térébrance de ma tête, distraire cet enchantement maudit qui siffle dans mon cerveau, avec toutes les saloperies audibles, et ne plus jamais jamais dormir.
Tout était donc faux ! Il n’y avais Rien, rien que l’absurdité et le néant.
Car je suis devenu une prison térébrante d’Enfer pour moi-même, la Solitude et le Silence, je dois courir au dehors pour les fuir, me vautrer dans le stupre du Vacarme puant et dans l’obscénité du monde tel qu’il va crépitant de sa fureur de jactance.

En attendant, il me faut rester seul, et éternellement seul, "avec mes yeux de fou", et le Sifflement du Maudit, pour unique viatique.
félix niesche

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Monsieur,


Il est 04h40 du matin à Bangkok d'où je vous lis.

Vous faites ma joie.

Que ma Joie Demeure.


Bien humainement à vous
J


PS: la mort ne saurait être un obstacle aux âmes reliées.

Anonyme a dit…

Je ne m'attendais pas à lire ça. Dire que je suis désolé serait idiot.

Bon courage à vous.

Mr. Nice Guy

Anonyme a dit…

nous lache pas Abbe tymon! qu' est ce qu' on va lire maintenant! faut pas t' arreter maintenant!